mercredi 16 juin 2010

Le Kata, voie de la connaissance


Le Kata, un autre concept essentiel au Japon, a trois sens principaux en japonais avec un kanji pour chaque sens :
方 qui désigne une "manière", "orientation", "direction".

Shigata veut dire « façon de faire ». Il peut aussi signifier "personne" en style plus poli que hito.

qui étymologiquement signifie «tracer avec le pinceau une ressemblance exacte»

qui signifie «moule, forme originale faite en terre, trace laissée, forme idéale, loi, habitude».


Faire un avec la chose pour la « co-naître »
Principalement connu à travers les arts martiaux, le kata est une séquence de mouvements codifiés à l’extrême, que l’apprenti devra reproduire à la perfection, sans variation ni fioriture.
A force, l’adepte se met en condition de révéler l’essence du mouvement qui se situe bien au-delà de la technique.
Ce mode d’apprentissage par l’action suppose une pleine concentration, c'est-à-dire un silence mental, où savoir-faire et savoir-être deviennent indissociables.
Ijukiro Nonaka, considéré comme le père fondateur du “knowledge management” declare : Knowledge is process oriented, and relational oriented – The process of knowing IS the reality"
Ce que Nonaka traduit par le mot anglais « indwelling », ou intériorisation, que l’on peut traduire par co-naissance, s’inscrit dans la dualité entre le tacite et l’explicite :
- la connaissance tacite, qui s’acquiert par le corps ; on dira qu’entre le maître et l’élève elle se transmet de hara à hara (de ventre à ventre) et suppose que l’adepte « fasse un » avec la chose. Les katas se situent dans cette modalité ontologique d’acquisition de connaissance. « The tradition of emphasizing the oneness of body and mind has been a unique feature of japanese thinking » ajoute H. Takeuchi.
- la connaissance explicite, qui se transmet par le langage (instructions orales ou écrites) et qui devient un « objet de connaissance » séparable de l’individu qui l’a créé, en général valide (jusqu’à preuve du contraire). On est dans une modalité épistémologique.

Kuki, c'est l’atmosphère qui décide

Les japonais ont une sensibilité très forte à l’atmosphère ambiante. Il s’agit de ce que Musashi décrit dans le cinquième et dernier rouleau de son œuvre « Go rin no sho », le kuki, qui est traduit par air, vide, atmosphère.En situation de décision de groupe, il est fréquent qu’une personne adopte une position qui n’est pas logique, jamais argumentée, mais simplement une adaptation à l’air. Ce qui n’offre aucun moyen de le contredire, car on ne discute pas avec l’air ! Selon Yamato Shichihei, l’explication se situe au niveau d’une psychologie existentielle plutôt que d’une sociologie : les japonais en groupe, ont une forte propension à s’investir émotionnellement dans la relation, ce qui peut les conduire à une conduite irrationnelle, mais unanime. Au risque que le kuki du groupe n’étouffe complètement l’individualité de chacun.


Les non-dits du kata

La transmission des katas, on l’a dit, repose sur le consensus d’une experience commune qui n’est pas formulée avec des mots. De plus les codes sociaux japonais n’autorisent pas l’étalage des sentiments, mais la sensibilité est éduquée à décrypter l’implicite, le langage non-verbal, à travers le ton, les attitudes. A l’intérieur d’un groupe, les échanges oraux laissent une large place au non-dit, au tacite, dictés par l’identification dominant à l’intérieur du groupe. Cela explique sans doute pourquoi lorsqu’un étranger s’adresse aux japonais, même en maniant très bien leur langue, ces derniers hésitent à répondre en japonais : le non-dit ne pourra fonctionner car l’étranger ne s’est pas préalablement identifié au groupe.


Moments-clés : La dernière sortie du Yamato

Le Yamato de la marine impériale japonaise était le plus grand

cuirassé jamais construit au monde. Sa dernière mission fut l'opération Ten-Go, une véritable mission suicide, dans le contexte de la bataille d'Okinawa, début avril 1945.

Cette dernière « sortie » avait été jugée sans espoir par les états-majors. 30 ans plus tard, la revue Bungei Shunju d’aout 1975 cite cette phrase étonnante du vice-amiral Osawa Jisabyro : « Je pensais et pense encore aujourd’hui que la sortie du Yamato était tout à fait justifiée par l’air (kuki)général de l’époque »


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